Thorgal 35 : le Feu écarlate
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En préparant mes papiers sur les dernières lectures, j'ai eu la surprise de constater que rien sur UMAC n'avait été rédigé sur l'un des tomes de la longue saga Thorgal. Cela faisait pourtant un moment que cette institution de la blogosphère s'était ouverte aux autres supports culturels que les comic books qui ont fait sa première renommée. Mais non, rien, nada, pas le moindre entrefilet.



Il était temps de réparer cet oubli.
Ce n'est pourtant pas faute de lecteur puisqu'il y a au moins un membre de la rédaction qui est resté fidèle au personnage créé par Jean Van Hamme et Grzegroz Rosinski en 1977 : votre serviteur. Ma modeste bibliothèque a ainsi une étagère réservée aux déjà 35 albums de la série principale (elle s'est depuis déclinée en add-ons consacrés à des personnages importants du cycle, tels Kriss de Valnor et Louve, la fille de notre héros). C'est même devenu un rituel pour mes enfants qui m'offrent chaque fin d'année le dernier opus des aventures du Viking rebelle descendant du Peuple des Étoiles et qui, par trois fois, s'est retrouvé dans le domaine des dieux nordiques - et en est revenu vivant, contre toute attente. Marqué par un destin tragique, poussé en avant par des principes moraux sans faille mais sans cesse condamné par des dieux qui n'acceptent pas son destin particulier (sa nature singulière - il est issu d'un couple d'Extraterriens -, son habileté exceptionnelle à l'arc, sa ténacité et sa droiture, voire le charme qu'il dégage, font qu'il échappe systématiquement au sort réservé aux humains normaux qui, eux, ne peuvent se soustraire aux manigances divines). Le problème est qu'il lui est impossible de vivre tranquillement dans le monde qui l'a accueilli : non-violent et poète, il lui faut pourtant faire preuve de hargne, de vigueur et parfois de férocité pour espérer survivre en ces temps difficiles, dans un milieu aussi exigeant que le Northland. Il refusera chaque fois les honneurs qu'on lui proposera après les victoires qu'il aura remportées et fera régulièrement les mauvais choix en pensant se préserver de la cruauté et de l'étroitesse de vue de ses pairs. Se sachant poursuivi par la vindicte des dieux, il choisira ainsi de quitter sa famille, espérant la préserver de l'ire d'Odin et des locataires d'Asgard. Plus tard, après avoir compris son erreur d'appréciation et retrouvé les siens, il préférera voyager avec eux loin de son peuple, ignorant que le vaste monde est encore plus dangereux que les fjords vikings.


Le Feu écarlate est le dernier tome paru à ce jour, et constitue le troisième du Cycle des Mages rouges, de puissants sorciers qui ont précédemment enlevé le fils que Thorgal a eu avec une aventurière à une époque où la mémoire lui avait été ôtée (lorsqu'il choisit de sacrifier son nom afin de ne plus avoir affaire avec les dieux). Après les nombreux sacrifices qu'il a consentis, puis ceux de son fils aîné (Jolan s'est également rendu en Asgard dans l'optique de sauver son père mourant), Thorgal n'a pas hésité à partir à la poursuite des ravisseurs qui ont fait route vers l'Orient lointain et la ville de Bagh-Dadh, assiégée par les troupes de l'empereur Magnus. En chemin il apprend que les Mages rouges espèrent ressusciter leur ancien leader qui se serait réincarné dans le corps du petit Aniel et s'est trouvé un renfort précieux en la personne d'une ancienne esclave qui a fréquenté le harem.
Les épisodes 33 et 34 avaient été écrits par Yves Sente suite à la défection du père de XIII et de Largo Winch et il faut bien avouer que, si on retrouvait par instants l'éclat des meilleurs histoires de la série, ça manquait de panache et de clarté. Le Feu écarlate se voit attribuer un nouveau scénariste, Xavier Dorison, qui se retrouve avec un sacré poids sur les épaules et la responsabilité de boucler une trame qui s'étend à la série dérivée Kriss de Valnor. 

Et le moins que je puisse dire, c'est que ça ne m'a pas paru très convaincant. Ni la reprise de l'arc narratif, ni la réalisation confuse, ni la mise en pages brouillonne ni surtout les dessins de Rosinski ne m'ont rassuré sur l'avenir de la série : où est passé l'artiste au trait précis et fluide, adepte de la couleur directe, qui cumula les prix à l'époque des Archers et du Pays Qâ ? Des rumeurs affirment qu'il n'est pas bien portant, ce qui pourrait expliquer en partie la déception qu'engendre l'album. Car l'intrigue déjà emberlificotée (même si on comprend vite que les rares alliés de Thorgal ont un gros potentiel de traîtrise, la trame de fond avec la réincarnation de Kah-Aniel se complique avec des considérations d'ordre religieux, politique et stratégique) se noie sous un déluge de sang, multipliant les affrontements de masse, les tueries et les exactions dans une sorte de brouillard écarlate : la cité est sur le point d'être envahie et mise à sac, et Thorgal se retrouve à nouveau dans une course contre la montre, cherchant à sauver son fils avant la cérémonie de réincarnation et à quitter Bagh-Dadh avant l'hallali. Certes, l'omniprésence de la couleur du sang colle avec la Magie Rouge qui est au cœur du récit, mais ça n'aide guère à l'intelligibilité de nombreuses cases. 



D'autant qu'on commence à perdre ses repères sur le personnage même du héros, un Thorgal dont les principes vacillent, aux motivations fluctuantes. Il est souvent bon que les héros évoluent, mais est-ce au prix de l'intérêt propre de ses aventures ? Lors de ses nombreuses pérégrinations, j'avais apprécié ses moments de faiblesse passés et ses élans de grandeur, mais aussi et surtout le fait qu'il ait toujours été fidèle à ses principes moraux, au risque d'opter pour des décisions fâcheuses. Ici, on le voit céder un peu facilement à certaines tentations, changer d'avis un peu trop souvent et battre sa coulpe de façon un peu trop naïve : devant cette beauté orientale aux yeux de braise ou le corps de son fils mû par l'essence d'un sorcier, Thorgal n'est plus que l'ombre de lui-même, un homme incapable d'infléchir son destin, davantage dans la réaction que dans l'action. Bref, on perd un peu de l'essence de ce héros qu'on appréciait tant.
Attendons de voir ce qu'il ressort de la fin de cet arc intriguant (cela devrait se produire dans le volume suivant) où Thorgal hésite entre son rôle de père et celui de redresseur de torts, avant de dresser un bilan définitif, et le moins amer possible, sur cette saga vieillissante qui peine à se ressourcer et à retrouver sa magie des premiers temps.

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Thorgal : un héros droit dans ses bottes.
  • L'univers scandinave dans lequel il évolue s'ouvre davantage : d'autres peuples, d'autres civilisations.
  • Une violence accrue par rapport aux derniers volumes.

  • Brouillon : une impression désagréable de produit bâclé.
  • Des cases souvent inintelligibles, noyées sous des flots de rouge.
  • Une intrigue manquant cruellement d'intérêt, coincée sous le destin d'une population à l'agonie.
  • Des dialogues manquant de consistance, à l'image de personnages sans épaisseur.